Le Cœur de l’Angleterre.
Le Tour des Livres.
Jonathan Coe est bien un des meilleurs romanciers britanniques. Avec « Le Cœur de l’Angleterre », paru chez Gallimard, il parvient à rendre passionnant et littéraire l’affaire du Brexit. En dix ans, de 2010 à 2020, il retrace la vie de la famille Trotter qui réside dans les Midlands, à Birmingham, famille déjà rencontrée dans « Le cercle fermé » et « Bienvenue au club ». Reclus dans son moulin, sur les bords de la Severn, Benjamin, la cinquantaine, débute une difficile carrière d’écrivain. Lois, sa sœur, bibliothécaire, habite à York, loin de Christopher, son mari. Colin, leur père, est un nostalgique de la grandeur de l’Empire, mais peut-être devient-on naturellement réactionnaire avec l’âge. Faut-il croire que c’est toute la société anglaise qui a pris un coup de vieux ? Sophie, la fille de Lois, est étudiante et cherche sa voie. Tous sont insatisfaits, sans oser véritablement changer. Les gens de Birmingham sont habités d’une nostalgie pour le passé qui transparait dans les modes, les choix. Un décalage s’installe entre les décisions politiques et la population, de plus en plus métissée. Comme partout, la finance se dissocie de la vie réelle. L’auteur n’a pas son pareil pour nous faire sentir les failles, les lignes de fracture qui parcourent la société britannique, conduisant à l’inévitable catastrophe.
Dans la foulée, j’ai relu le roman de Robert Merle, « Derrière la vitre » (Folio) que l’auteur sarladais a consacré à Mai 68. Professeur à Nanterre, il raconte, en la romançant, la journée du 22 mars 1968, où tout se joue. Ils sont déjà là, les leaders, autour de Daniel Cohn-Bendit, qui fait figure de héros. Mais Merle préfère décrire les frustrations des élèves ordinaires, enfermés dans leur minuscule chambre universitaire, séparés par sexe. La plupart sont des fils de bourgeois, honteux de leur privilège, ignorant de la classe ouvrière qu’ils prétendent admirer, comme Lucien Ménestrel et la brune Jacqueline Cavaillon, en rébellions contre leurs parents. Les inhibitions sexuelles semblent plus importantes que les revendications sociales. Un roman choral très novateur, un témoignage d’un moment clé de notre histoire.
C’est un premier roman tout en finesse que nous propose Madeleine Meteyer avec « La première faute », paru chez Jean-Claude Lattès. Valentine et François forment un couple moderne et contemporain. Ils se sont connus étudiants, à l’école de journalisme. Lui, plutôt progressiste ; elle attachée à l’ordre. Mais l’amour les a réunis ; ils se sont mariés, ont eu trois enfants. François est devenu grand reporter, Valentine, éditorialiste. Mais, derrière le bonheur apparent, le vernis se craquèle. Des petits secrets, des fautes enfouies, refont surfacent. Dans ce couple parfait qui se dissout, il serait vain de chercher le responsable. Depuis le début, une dissonance discrète avait annoncé la fin du voyage.
C’est un monument, une Odyssée, que nous offre le Catalan Miquel de Palol, avec « Le Testament d’Alceste », paru chez Zulma. De cette savante architecture sort un jeu ésotérique et philosophique des plus passionnants. Un groupe d’amis se réunit pour jouer au jeu de la Fragmentation, un jeu de rôle où les constructions s’enchaînent. Mais dès les premières scènes, Aloysia est retrouvée morte. Ses camarades décident alors de tenter l’impossible : ressusciter Aloysia grâce aux voyages dans le réel et l’imaginaire, l’espace et le temps, que permet leur activité. Les récits criminels, mystiques, conspirationistes et sexuels vont se succéder dans un délire littéraire.
Jean-Luc Aubarbier.
Essor Sarladais du 28 août 2020. Article suivant
Essor Sarladais du 11 septembre 2020.