MEMOIRE DE FILLE.
Le Tour des Livres.
Avec « Mémoire de fille », publié chez Gallimard, Annie Ernaux revient sur l’adolescente qu’elle fût, en cette année 1958 où elle a vécut ses premiers instants de liberté et sa première aventure amoureuse et sexuelle. Elle se dissocie complètement de ‘la fille de 58’ qu’elle a été. Comme pour une enquête sur une étrangère, elle interroge sa mémoire, des photos, des lettres. Sur fond de guerre d’Algérie, celle qui n’est jamais bien dans sa peau, dans sa classe sociale, découvre l’univers des étudiants ‘gauchistes’ en devenant monitrice d’une colonie de vacances. Séduite par le tombeur de service, elle est vite abandonnée et garde de cette expérience un sentiment de honte et d’humiliation. Elle se sent surtout rejetée par les autres, et cette blessure ne se refermera jamais. Le temps a passé et l’oubli avec lui. Qui se souvient d’elle, comme elle se souvient des autres ? A-t-elle comptée seulement un peu ? Et cette souffrance issue du passé, s’agit-il de souvenirs de la vérité ? Ou de souvenirs inventés, mythifiés artificiellement ?
Les auteurs maudits ont la côte. Après le remarquable « Vers la nuit » d’Isabelle Bunisset (Flammarion) consacré à Céline, c’est Drieu La Rochelle qui vit ses derniers instants sous la plume de Gérard Guégan avec « Tout a une fin, Drieu » chez Gallimard. En mars 1945, le célèbre écrivain ne sait plus où il en est. Fasciste tenté par le communisme, il a tenté de se tuer et attend qu’on vienne l’arrêter. L’homme qui prêchait le réalisme saura-t-il affronter la réalité ? Il est né double, fort et faible, idéaliste et réaliste, fasciste aimant Aragon, révolutionnaire nostalgique du passé. Un groupe de résistants communistes l’enlèvent et le jugent. Marat, Maréchal, Rodriguez et Héloïse ne veulent pas le tuer, mais le pousser au suicide.
Chez Belfond, le néerlandais Herman Koch alterne avec talent humour et vacherie dans « Cher Monsieur M. » Herman, le narrateur, souffre de son anonymat. Il écrit régulièrement à son voisin, monsieur M, un célèbre écrivain, pour lui dire tout le mal qu’il pense de lui. M, amusé, en a fait un personnage de ses romans. Herman, de son coté, décrypte les ouvrages de M, personnage égocentrique qui s’est vengé de sa première épouse en la croquant cruellement dans un livre. Il montre comment l’écrivain ‘rentabilise’ son histoire personnelle (mort de sa mère, collaboration de son père avec les nazis). C’est un roman amer et féroce sur le métier d’écrivain et la création.
Chez Julliard, Jean-Marie Gourio délaisse les brèves de comptoir pour un court roman « L’arbre qui donna le bois dont on fit Pinocchio ». C’est un conte plein de fantaisie et de tendresse qui revisite avec bonheur les aventures de la célèbre marionnette. Fils d’émigrés italiens, Giacomo revient en Toscane pour tenter de sauver l’entreprise familiale de jouets en bois. Tout l’enchante dans cette Italie : sa langue, son vin, ses femmes. Mais ne va-t-il pas, par sa naïveté, être victime d’escrocs, comme le pauvre Pinocchio ?
Chez Jean-Claude Lattès, Elin Hilderbrand nous propose « La Rumeur », un roman fait de vacheries malveillantes. Madeline et Grace sont les meilleures amies du monde. Tous le monde envie leur existence, leurs bons maris, leurs beaux enfants. Mais voilà qu’une rumeur se lève : Madeline, romancière, n’arriverait plus à écrire. Et une autre : Grace serait un peu trop proche de son jardinier. Et d’autres encore… La rumeur enfle, enfle… Et la vérité est peut-être pire.
JEAN-LUC AUBARBIER.
ESSOR SARLADAIS du 22 juillet 2016. Article suivant
Salon du livre de DOMME, mercredi 17 août 2016.