HEURES SOMBRES.
Le Tour des Livres.
Libraire à Niort, La Rochelle et Tours, Stéphane Emond prend la plume, en cette rentrée littéraire, pour nous donner une petit chef d’œuvre « Argonne », publié à La Table Ronde. En juin 40, sa famille terrorisée par l’attaque allemande, a fuit son village dans l’Argonne, comme des milliers d’autres. 80 ans plus tard, il refait en voiture ce parcours tragique qui va nouer le destin des siens. Sur la charrette tirée par le cheval, se sont entassés le grand-père, la grand-mère, Lulu, le plus jeune fils et sa sœur, Marie-Thérèse, dont le mari est mobilisé. Elle tient dans ses bras Françoise, âgée d’un mois, tandis que ses deux autres enfants sont juchés à l’arrière. Ils suivent les chemins encombrés, « les routes qui pleurent » comme l’écrira Léon Werth, toujours en recherche de nourriture et d’un toit pour dormir. Jusqu’à ce maudit village de l’Aube où des avions allemands mitraillent les fugitifs. Marie-Thérèse, la grand-mère de l’auteur, est tuée sur le coup. Françoise, son bébé, mourra deux mois plus tard. Les voyageurs font demi-tour, après avoir enterrée la jeune-femme, pour regagner leur ferme. L’auteur cherche la mémoire des vieilles maisons, à défaut de celle des humains, disparus. Il découvre le parfum du passé, évoque son père, un enfant qui a vu sa mère mourir sous ses yeux, devenu plus tard ce paysan et menuisier, et cette terre de Champagne et de Lorraine, tant de fois martyrisée, dans un style éblouissant.
Né d’une mère allemande et d’un père écossais, c’est en anglais qu’Alexander Starritt rédige « Nous, les Allemands », publié chez Belfond. C’est une lettre d’un grand-père à son petit-fils, pour lui raconter « sa guerre ». Mobilisé comme artilleur, il a effectué toute la campagne de Russie, puis la débâcle vers l’Allemagne. Il n’a pas commis de crime de guerre, ni participer à la Shoah, mais il raconte avec une précision d’entomologiste, les horreurs du conflit à l’est. Dans l’armée victorieuse, il agit comme tous le monde, mais la défaite transforme la fière armée allemande en une bande de voleur et de criminels. Ces jeunes Allemands ont quelque chose des GI’s paumés au Viet Nam. Ils s’interrogent sur ce qu’ils font là, abattent des membres de la police militaire pour les voler. Dans cette déroute, n’existent ni lois, ni morale, ni discipline. Le désespoir fait accomplir le pire.
« Eleftheria » (liberté en grec) est une petite perle de roman choral, écrit par Murielle Szac et publié par les éditions Emmanuelle Colas. Entre 1940 et 1941, la Crète tombe dans la guerre. La communauté juive de l’île vit en bonne entente avec les Grecs, Stella a épousé l’un d’eux ; Rebecca voudrait bien en faire autant, au grand scandale de sa famille. Le paysage antique semble immuable, protégé par l’armée britannique. Mais le 20 mai 1941, les Allemands envahissent l’ile, traquent les partisans, séparent les communautés. Les réactions des uns et des autres vont différer : résister, obéir, collaborer. Un style magnifique qui fait chanter nos sens : les goûts, les odeurs, les sons. Le lecteur « y est ».
Edité aux éditions Les Escales, « Ombres portées », sous-titré « Souvenirs et vestiges de la guerre de mon père » est un témoignage bouleversant qu’Ariana Neumann a mis des années à mettre en forme. Dans la propriété familiale de Caracas, encore enfant, elle découvre une pièce d’identité de son père. C’est bien lui sur la photo, mais il porte un autre nom. Bien des années plus tard, après la mort de son père, elle retrouve une boite emplie de photos et de documents qu’elle mettra dix ans à faire traduire. Il s’agit des souvenirs de son père, à Prague, pendant la guerre. Elle vit désormais à Londres.
Jean-Luc Aubarbier.
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Essor Sarladais du 2 septembre 2022.