L’Espagne au cœur.
Le Tour des Livres.
J’avais eu le plaisir d’écrire, dans ces mêmes colonnes, en 2007, la première chronique du premier roman de Carole Martinez, intitulé « Le cœur cousu ». Toujours chez Gallimard, la romancière nous propose cette année « Les roses fauves », dont le titre aurait pu être : les cœurs cousus. Il s’appuie sur une légende andalouse : quand elles sentent la mort venir, les femmes brodent un coussin en forme de cœur, dans lequel elles enferment les secrets de leur vie. Mais c’est en Haute-Bretagne, dans le village de Trébuailles, que se situe l’action de ce livre. Lola y mène une vie solitaire, entre le bureau de poste où elle travaille, et son jardin où poussent des roses. Dans son armoire, des coussins en forme de cœur renferment l’histoire de sa famille, à travers une lignée de femme. Au-delà de sa vie étriquée, cette fille d’exilée est riche de toutes ces aventures inconnues. Lorsqu’un des coussins se déchire, elle ne peut même pas lire les billets qui s’en écoulent : elle ne parle pas l’espagnol. La narratrice, une romancière, propose de les traduire, et Lola accède ainsi à son passé. Un roman écrit dans un style riche, sensuel, méticuleux et fruité, où les mises en abîmes se succèdent : souvenirs, inventions, réalité, cinéma. Si Lola préfère la vie aux romans, la vie n’est-elle pas un songe ?
C’est bien en espagnol que Maria Duenas a écrit « Les trois filles du Capitan », publié chez Robert Laffont. Mais, là aussi, il s’agit d’espagnols en exil. En 1936, à New York, Emilio Arenas, le propriétaire d’un petit restaurant meurt accidentellement. Ses trois filles, au tempérament fougueux, après avoir songé à rentrer en Espagne, décident de prendre sa suite. Victoria, Mona et Luz vont transformer la gargote en une boite latino à la mode. Le roman se déroule sur fond de guerre civile, et permet de découvrir, dans la 14° rue, le quartier espagnol de New York, dans les années 30. Une histoire envoûtante, haletante, entre aventures, passions et désillusions.
Chez Quai Voltaire – La Table Ronde, le romancier guatémaltèque Eduardo Halfon nous propose « Cancion », un roman autobiographique. Invité à un congrès d’écrivains au Japon, Halfon endosse le roman de sa propre famille aux origines imprécises, et se fait passer pour libanais. Au Guatemala, on nomme « turcs » tous les individus originaires du Proche Orient, aussi bien arabes que juifs. Il raconte également l’enlèvement de son grand-père, en 1967, par un sanguinaire guérillero surnommé Cancion. Une histoire autant crapuleuse que politique, rédigée dans un style précis et musical.
Chez Julliard, Laurent Bénégui reconstitue une vaste fresque familiale avec « Retour à Cuba ». Au début du XX° siècle, son grand-père Léopold, un paysan béarnais, s’exile volontairement pour tenter de faire fortune dans la grande île des Caraïbes. L’auteur mêle aux résultats de son enquête et aux légendes familiales, ses propres souvenirs et son imagination romanesque. A-t-il réellement vu Raoul Castro tirer à la kalachnikov sur des noix de coco ? Pourquoi sa famille, à la tête d’une fructueuse plantation de café, est-elle rentrée précipitamment en France, alors qu’elle bénéficiait de l’indulgence du régime communiste ? Un livre où réalité et fiction se mélangent allègrement.
Jean-Luc Aubarbier.
Essor Sarladais du 15 janvier 2020. Article suivant
Essor Sarladais du 29 janvier 2021.