LOST IN TRANSLATION.
Le Tour des Livres.
La langue maternelle, les langues étrangères, le langage de l’écrivain, autant de mondes dans lesquels il est aisé de s’égarer. Julia Kerninon nous en offre un bel exemple avec son magnifique roman « Liv Maria », paru initialement chez l’Iconoclaste et, aujourd’hui, en poche chez Folio. Peut-on être autre chose que la conséquence de ses actes ? se demande Liv Maria, née sur une ile, de mère bretonne et de père norvégien. Peut-on gagner sa liberté quand il semble que nous sommes soumis à un implacable destin ? C’est par les livres que lui lit son père que la jeune Liv Maria gagne un peu de liberté. Kerouac, Faulkner, Beckett sont ses compagnons. Puis elle s’échappe à Berlin où, étudiante, elle devient la maitresse de Fergus, son professeur d’anglais. La « langue des livres » rapproche ces deux solitaires et il la séduit avec des mots. Avec lui, elle découvrira l’amour, d’autres auteurs, d’autres langues. Puis Fergus retournera dans son Irlande et Liv Maria découvrira que son ile est devenue trop étroite pour elle. Ce sera l’Amérique du sud, les grands espaces, d’autres langues. L’Irlande, au final, lui donnera un nouvel amour et un pays où elle mettra au monde ses enfants. Un roman initiatique qui a quelque chose d’un conte de fées où la magie serait remplacée par la vie.
Les auteurs morts se mêlent à la vie des vivants dans ce polar décalé et exubérant que nous livre l’auteur mexicain Martin Solares publié chez Christian Bourgois et intitulé « Mort dans le jardin de la lune ». Un policier est assassiné à Paris et ses collègues sont menacés, par un serial killer qui ne serait autre que Jack l’éventreur. Un peu de thriller, un peu d’Histoire, un peu de fantastique et beaucoup du baroque sud-américain dans ce roman où l’on croise Man Ray, Oscar Wilde et les auteurs surréalistes. Il vaut mieux ne pas chercher la vraisemblance et se laisser porter.
« Tous les amis sont là » titre Alain Dulot pour son roman paru à la Table Ronde. Verlaine est mort, ce 8 janvier 1896, à 51 ans, et on l’enterre deux jours plus tard au cimetière des Batignolles. Le quartier Mouffetard mélange les gueux et les bourgeois, les écrivains et les poètes de tout poil. La boisson a fini par emporter ce Prince des poètes que l’académie française avait refusé. Il a connu la misère, la prison, l’amour avec Rimbaud, mort avant lui, et avec de nombreuses femmes. Ils sont venus pour suivre son cercueil et le porter en terre : Stéphane Mallarmé, Anatole France, Barrès, Catulle Mendès, Robert de Montesquiou, François Coppée, Paul Valéry, Pierre Louÿs. Dans l’église, Gabriel Fauré tient les orgues. L’auteur tutoie le poète, nous plaçant à proximité de lui.
S’il existe une langue d’écrivain, c’est bien celle de Proust. Antoine Compagnon nous propose, chez Gallimard « Proust du coté juif ». S’il se revendiquait catholique, Proust, né de mère juive, fut un ardent dreyfusard. La communauté juive traditionnelle se méfiait de lui et, plus encore, de son œuvre, quand les jeunes sionistes en firent un héros malgré lui. N’est-il pas semblable à ce Swann, un juif tellement érudit et bien élevé, qu’il fréquente le beau monde bien chrétien ?
JEAN-LUC AUBARBIER.
Salon du Livre de Saint-Martial-de-Nabirat, 28 mai 2022. Article suivant
LIBOURNE, salon des littératures policières, 4 et 5 juin 2022.