Marie Vingtras, Pierre Adrian et deux autres.
Le Tour des Livres.
Dès son premier roman, « Blizzard », elle avait su séduire un public exigeant. Elle était attendue pour le deuxième, le plus difficile, dit-on. Avec « Les âmes féroces », toujours aux éditions de l’Olivier, Marie Vingtras n’a pas déçu ses lecteurs. L’intrigue se situe toujours dans cette Amérique profonde qu’elle avoue connaitre mal, et qu’elle décrit si bien. Nous sommes à Mercy, petite ville de l’Ouest où il ne se passe jamais rien. Pourtant, cette fois, la shérif Lauren Hobler découvre, à moitié immergée dans la rivière, le corps de Léo, une adolescente apparemment sans problème. Etre shérif quand on est une femme, et lesbienne de surcroit, dans ce pays si machiste, n’est pas une sinécure. La petite rêvait de partir rejoindre sa mère, en Italie. La voix de narration change, c’est désormais Benjamin, le professeur de français de Léo, qui parle. On sait qu’il aime les adolescentes. On l’accuse, on l’emprisonne. Une troisième voix se joint à la chorale, celle d’Emmy, l’amie de Léo, qui partage tous ses secrets, et porte le sien comme une croix. C’est enfin Seth, le père de Léo, qui achève le récit. Ce roman dont la tonalité évoque Steinbeck, qui dénonce la faiblesse des hommes et la cruauté des femmes, a obtenu le prix FNAC 2024.
Dès les premières lignes du roman – récit de Pierre Adrian « Hôtel Roma », paru chez Gallimard, j’ai pensé au film de Diane Kurys « Un homme amoureux ». Les deux œuvres traitent des derniers jours de Cesare Pavese, le poète italien qui s’est donné la mort en 1950 à Turin, dans une chambre de l’hôtel Roma. L’homme peut paraitre étrange, décalé. Pendant la guerre, il refuse tout engagement et cherche Dieu. Célèbre, il fuit la célébrité ; il est homme de village plutôt que de ville. Hanté par la solitude et le sentiment de l’échec, il est distant, et cette distance avec la vie l’empêche de vivre. Mieux que tout autre, il parle du « douloureux métier de vivre ». Entre le film et le livre, on pourrait parler d’une triple mise en abîme. « Un homme amoureux » raconte le tournage d’un film sur les derniers jours de Pavese. Peter Coyotte joue le rôle d’un acteur célèbre qui interprète Pavese. Greta Scacchi est cette dernière jeune femme qu’il rencontre la veille de sa mort. Les femmes n’ont jamais bien traité Pavese. Les deux acteurs ne vont pas mieux réussir leurs amours. Et Pierre Adrian s’offre la compagnie de cette mystérieuse « fille à la peau mate » qui l’accompagne sur les traces du célèbre écrivain.
Grand reporter à Sud-ouest, Yves Harté publie, après l’excellent « La main sur le cœur », un nouveau roman au Cherche Midi, intitulé « Parmi d’autres solitudes ». Un homme trie les affaires de son père qui vient de mourir. Il tombe sur une série d’articles qu’il avait écrits à ses débuts de journaliste : des portraits d’hommes et de femmes confrontés à la solitude. Son père a pieusement conservé ces écrits. Pour qui, lui-même, ou pour son fils, quadragénaire célibataire ? Les annotations en marge des articles vont ouvrir au reporter des nouvelles perspectives.
Grand reporter, Stéphanie Perez a su traduire son expérience des terrains de guerre avec « La Ballerine de Kiev » paru chez Récamier. Lorsque l’Ukraine est attaquée par la Russie, Dmytro, danseur étoile, s’engage dans l’armée. Svitlana, son épouse, danseuse également, devient secouriste. Leur métier consistait à travailler la perfection du corps ; ils doivent maintenant s’habituer aux mutilations, aux blessures, à la peur et à la mort. Danser a-t-il un sens, face à la barbarie ?
Jean-Luc Aubarbier.
Dédicace à Sarlat le 23 décembre 2024. Article suivant