VINGT ANS DE SOLITUDE.
Le Tour des Livres.
Excellent premier roman que ce « Ressources inhumaines » de Frédéric Viguier publié chez Albin Michel, implacable, glaçant, dérangeant. « La vie d’un hypermarché bat au rythme de l’humanité manipulée. Et cela fait vingt ans qu’elle participe à cette manipulation. » A l’occasion d’un stage, une jeune étudiante est embauchée au rayon textile féminin d’un hypermarché. Très vite, elle évince sa supérieure et devient chef de rayon. Ne nous y trompons pas, il ne s’agit pas vraiment d’un roman social, ni de l’histoire d’une ambition. La narratrice veut surtout dissimuler son mal être existentiel, le vide intérieur qui la constitue. Pour cela, elle accepte sans jugement mais avec lucidité, les règles du jeu de la vie dans un hypermarché, présenté comme un univers à part entière. Protégée par un supérieur qui devient son amant, elle poursuit son ascension, devient chef du secteur textile. Puis elle connait vingt années de stagnation, d’une vie lisse et organisée, à maintenir son état. L’essentiel pour elle est de faire partie de quelque chose. Elle sait bien que la machine à broyer de l’hypermarché aura raison d’elle un jour, c’est la règle du jeu. Mais quand le bonheur potentiel passe à sa portée, il est trop tard. Pour parodier Garcia Marquez, on pourrait dire « à celle qui a connu vingt ans de solitude, il ne sera pas donné de seconde chance. »
Autre excellent premier roman : « Le renversement des pôles » de Nathalie Côte, publié chez Flammarion. Le couple en vacances y est étudié avec une férocité lucide et un humour acide. Deux couples avec enfants ont loué deux appartements voisins en bord de mer. Arnaud Laforêt ne s’intéresse plus qu’à son métier, sa vie sexuelle est voisine de zéro. Son épouse, la belle Claire, finit par prendre un amant pour l’été. Vincent Bourdon a toujours des problèmes d’argent. Il doit toujours rassurer Virginie, son épouse complexée. Les deux femmes sont vénales et exigeantes ; les hommes ne font pas le poids. La perte de l’argent et de la libido signent la disparition de leur virilité. Les couples sont en crise, on frôle le divorce au grand désespoir des enfants. Mais la fin des vacances signera le retour à la normale. Les pôles ont basculé, puis sont revenus à leur position d’origine.
C’est un second roman que nous propose Jessica L. Nelson avec « Tandis que je me dénude » paru chez Belfond. Angie Rivière, la narratrice, publie son premier roman intitulé « Bébés de brume ». Cette professeure de lettres redoute de se dévoiler lors de la promotion, quand elle doit présenter son livre à la télévision. Elle a l’impression que l’on explore son intimité sans aucune bienveillance. Alors elle se fissure de l’intérieur. Mais en fait, écrire un roman est beaucoup plus risqué, écrire, c’est se dénuder complètement. « Et si, en revêtant un masque, on en disait plus sur soi, parce que enfin on se sent libre ? »
C’est la fraternité des chrétiens d’Orient que met en scène René Guitton dans son roman « Mémoires fauves » paru chez Calmann-Lévy. Franco-Libanais, Michel Beaufort est le patron des disques Philips. Fauves, le chanteur, Benjamin Tawal de son vrai nom, est un artiste engagé originaire d’Alexandrie. On lui envie sa compagne, la très belle Aurélie, grand reporter. Mais Fauves va se servir d’elle pour séduire Michel. Complicité commerciale ? Pas vraiment, plutôt le sentiment d’appartenir à une même famille dispersée. Construit comme un thriller, ce roman bouscule le concept de triangle amoureux.
Chez Robert Laffont, Jean-François Kervéan revient, dans son roman « Animarex », sur le premier amour de Louis XIV. Marie Mancini, nièce de Mazarin a su éveiller chez ce jeune homme promis au trône le plus haut, une telle passion qu’il a songé à abdiquer. Elle est insoumise, cultivée, et ne respecte pas les règles de la Cour. L’espace d’un moment, le jeune roi entrevoit une autre vie que celle consacrée à la politique et aux intrigues. Son entourage remettra bien vite de l’ordre dans ses idées, mais le roi en restera marqué, jusqu’à devenir « Soleil ».
JEAN-LUC AUBARBIER.
THRILLERS A GUJAN-MESTRAS 26-27 septembre 2015. Article suivant
ESSOR SARLADAIS du 18 septembre 2015.