Cet obscur objet du désir.
Le Tour des Livres.
Depuis « La Maison », paru chez Flammarion en 2019, récit romancé de son expérience dans une maison close, Emma Becker a gagné le cœur des lecteurs amateurs de sexe littéraire et de beau style. Dans « Le mal joli », paru chez Albin Michel, elle se révèle amoureuse … et égale à elle-même. Une écriture de l’intime sans aucune barrière, et avec humour. Elle y tombe amoureuse d’un homme « qui n’est pas son genre », comme l’aurait dit Proust. Il est aristocrate, collectionne les auteurs d’extrême-droite, affiche une parfaire éducation. Elle se sent venir d’en bas, d’un milieu plus prolétaire (l’analyse sociale n’est jamais absente de ses romans). Pour lui, elle va délaisser mari et enfants (en culpabilisant, quand même), sombrant dans la passion « cet empoisonnement du cerveau ». Grande est la différence entre amour et désir. Emma Becker se révèle plus Casanova que Sade, jamais loin d’une tendresse amusée, jamais indifférente envers autrui. Comme pour ses précédents romans, « Le mal joli », le mal d’amour, est un projet littéraire autant qu’une expérience personnelle.
Le désir féminin est à la mode en cette rentrée littéraire. La Québécoise Audrée Wilhelmy en fait le thème de son « Peau-de-sang » publié au Tripode. Plumeuse d’oie et fille de joie, son héroïne accueille et exacerbe les fantasmes des hommes, dans une demeure emplie de plumes et de sang. Le récit surfe sur les frontières : humains et animaux, attirance et répugnance, vie et mort. Celle que l’on surnomme Peau-de-sang est une magicienne, une ensorceleuse qui soumet les hommes et règne sur eux en satisfaisant leurs désirs. Un conte hors le temps et l’espace, qui raconte une autre sexualité féminine libérée de toute morale. Une expérience littéraire de haut niveau.
La peur de l’abandon est au cœur du deuxième roman de Joy Majdalani. Paru chez Grasset, « Jessica seule dans une chambre » raconte la séduction par réseaux sociaux interposés, de la narratrice, une jeune femme de 23 ans. Justin, son interlocuteur, vient d’être abandonné par Louise. Deux solitudes qui se rencontrent et se racontent par l’intermédiaire d’une application. Est-ce encore une vraie relation ? Chacun parle de lui-même, de la poursuite du désir, des peurs obsessionnelles, du manque d’assurance, du bien-fondé de céder à ses émotions.
« La Fille verticale », premier roman de Félicia Viti paru chez Gallimard, traite du désir toxique. La narratrice tombe sous la coupe d’une femme à la perversion narcissique qui entend la posséder et la rejeter comme bon lui semble. Rapport de force et sentiment font rarement bon ménage.
Jean-Luc Aubarbier.
Foire du livre de Brive, du 8 au 10 novembre 2024. Article suivant