Romans minuscules.
Le Tour des Livres.
En 25 pages, dans « Le jeune homme », publié chez Gallimard, Annie Ernaux raconte à la première personne, une aventure sentimentale vécue avec un étudiant de trente ans son cadet. L’action se déroule à Rouen, ville où elle-même a été étudiante. Redevenir « la fille scandaleuse » qu’elle avait été à ses propres yeux, retrouver la précarité de la vie étudiante. Lui est entièrement tourné vers l’avenir ; elle est dans un présent qui regarde vers un passé dupliqué. Ils ont une génération d’écart : c’est une autre jeunesse avec d’autres valeurs. Ce sera un amour « avorté ». Ce texte dense est une très courte Recherche du temps perdu. Mais ce voyage dans le temps est avant tout un voyage en littérature et cette aventure amoureuse est vécue comme une expérience littéraire. L’écriture passe avant la vie, avant l’amour. « Si je ne les écris pas, les choses ne sont pas allés jusqu’à leur terme, elles ont été seulement vécues » dit Annie Ernaux en exergue de son propre ouvrage.
Chez le même éditeur, en 50 pages, Philippe Sollers nous interpelle par son titre : « Graal ». C’est une œuvre de spiritualité dans un monde qui ne tourne pas rond, un roman christique qui traite de l’Atlantide. On y apprend que Philippe Sollers lui-même est un Atlante, le rescapé d’une espèce perdue, sous-marine. « Vous êtes l’unique roi de votre royaume » écrit-il, en écho à la phrase-clé du Périgourdin Léon Bloy : « je suis le marquis du marquisat de moi-même ». En inventant le mot « coranovirus » pour désigner l’islam radical, Sollers fait un parallèle entre l’effondrement de la civilisation atlante tel que le décrit Platon, et la décadence du monde d’aujourd’hui.
« Fille », le roman de Camille Laurens, n’est pas particulièrement court, mais il vient de sortir en poche chez Folio. C’est un traité de l’éducation des filles bien rénové par rapport à celui de Fénelon. Naitre fille ? Le devenir ? Un garçon, c’est toujours mieux, semble dire le bon sens populaire. « Vous avez des enfants ? Non, dit mon père. J’ai deux filles ». « Encore une fille, dit le gynécologue. Je ne vois rien. » La transmission (du nom, du bien, du métier, etc) c’est toujours pour les garçons. Le monde change, quand même, un peu. Devenue mère, après avoir été fille et sœur, Camille Laurens en témoigne.
Il faut moins de 170 pages au grand romancier albanais Ismail Kadaré pour mettre en roman une légende de son pays : « Qui a ramené Doruntine ? », publié chez Zulma. Après trois ans d’absence, suite à son mariage avec un prince étranger, Doruntine rentre chez elle. Seule sa mère est encore vivante. Ces frères sont tous morts, de la peste ou à la guerre. Pourtant, la jeune femme affirme que son frère Constantin l’a ramenée sur son cheval. Le rationnel capitaine Stres enquête sur cette énigme qui tient du roi des Aulnes (le cavalier semble bien être mort) et du roman fantastique.
Jean-Luc Aubarbier.
Essor Sarladais du 24 juin 2022. Article suivant
Salon du Livre de Lanouaille 9 juillet 2022.