Charlotte Salomon, une artiste allemande.
Le Tour des Livres.
Si David Foenkinos sort de son habituel registre, léger, tendre et drôle, pour nous parler de « Charlotte », son dernier roman chez Gallimard, c’est que le sujet lui tient particulièrement à cœur. Issue d’une famille juive berlinoise, Charlotte Salomon, née en 1917, est très jeune placée sous le signe de la mort, avec le suicide de sa mère. Sa belle-mère, Paula, va l’initier à la peinture, mais la jeune artiste surdouée n’aura jamais sa chance, car les Nazis au pouvoir n’acceptent pas qu’une artiste juive puisse être récompensée. Son père, Albert, et Paula parviennent à fuir en France ; ils survivront à la Shoah. Charlotte aura le temps de publier un livre « Vie ? ou Théâtre ? », avant d’être internée en France au camp de Gurs, puis arrêtée par Aloïs Brunner en 1943. Elle sera gazée à Auschwitz. David Foenkinos, qui a découvert les œuvres de Charlotte, est demeuré hanté par son histoire. Il n’hésite pas à se mettre en scène dans cette légende hugolienne du quart-de-siècle nazi. Le rythme de son écriture ressemble à un poème en prose. Mais dans la noirceur absolue de cette époque, il n’ignore pas complètement l’humour, citant Billy Wilder, à propos des Juifs allemands : les pessimistes sont à Hollywood, les optimistes à Auschwitz.
On ne quitte pas l’époque avec Eliette Abécassis qui nous propose, chez Flammarion, « Un secret du docteur Freud ». Dans Vienne occupée par les Nazis, un duel est ouvert entre Sigmund Freud, dont la théorie psychanalytique est qualifiée de ‘science juive ennemie du Nazisme’ et Anton Sauerwald, chargé des affaires juives, fasciné par les théories hitlériennes, qui tient dans sa main le sort du psychanalyste et de sa famille. Pendant que Marie Bonaparte prépare la fuite du savant, son fils Martin tente de dissimuler une lettre qui révèle l’amitié passionnée que Freud a éprouvé pour Wilhelm Fliess, son condisciple, que les Nazis pourraient comprendre comme une bisexualité. Freud combat le Mal par l’analyse, et avant de partir, tel le Juif errant, pour Londres, il instille le doute dans le cerveau de son adversaire.
C’est une nouvelle interprétation du mythe d’Antigone que nous offre Etienne Guéreau avec « Le Clan suspendu », paru chez Denoël. Ismène vit avec les siens dans un village perché au sommet des arbres. Tous, rituellement, répètent inlassablement « Antigone » de Sophocle, que chaque membre du groupe doit connaitre par cœur. Il est interdit de mettre un pied sur le sol, car une créature sanguinaire rode et tue ceux qui s’y aventure. Le jeune Hémon décide de braver l’interdit, remettant en cause l’ordre établi. Ismène, qui veut fuir à son tour, doit percer le secret du clan pour saisir le sens profond de la tradition qu’elle a reçu.
L’Américain Wally Lamb nous propose, chez Belfond, « Nous sommes l’eau ». Divorcée et mère de trois enfants, Annie doit épouser Viveca, une autre femme. Avant la cérémonie, les doutes l’assaillent. Pourquoi Viveca veut-elle l’épouser sur les lieux même où elle a vécu avec son mari ? La réponse vient du secret douloureux qu’elle ne lui a jamais confiée, et la seule personne qui connaisse véritablement son histoire réside justement à Three Rivers. L’ouverture de cette boite de Pandore, ajoutée à l’opposition farouche de son fils, le très catholique Andrew, à cette union homosexuelle, va bouleverser le fragile équilibre d’Annie.
Chez Quai Voltaire, la Canadienne Annabel Lyon se met dans la peau de Pythias, pour nous proposer « Aristote mon père ». Elevée comme un garçon, c’est elle, et non son frère, qui assiste le philosophe dans ses cours. La mort de son père la laisse seule, en décalage avec une société qui nie l’existence d’une conscience féminine et l’oblige à affronter la réalité concrète. Un roman qui exhale le souffre des temples, le sang des femmes et les larmes de la tragédie.
Chez Albin-Michel, Oriane Jeancourt-Galignani nous invite à découvrir les secrets des lycées américains avec « L’Audience ». Tandis que son mari est parti combattre en Irak, Debbie, une jolie quadragénaire, professeur de mathématiques, choisit de s’octroyer du bon temps avec certains de ses élèves, en toute liberté et toute inconscience. Même si ses jeunes amants sont majeurs, au Texas, coucher avec ses élèves demeure un délit pour un professeur. Pendant sept jours, elle va subir les accusations, les témoignages, sur sa vie mise à nue. Où l’on voit que Tartuffe peut aussi être un puritain protestant.
JEAN-LUC AUBARBIER.
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ESSOR SARLADAIS du 26 septembre 2014.