Un prix Goncourt de haute qualité.
Le Tour des Livres.
Chronique d’un Goncourt annoncé, et néanmoins surprenant. Il faut dire qu’à 31 ans, le jeune écrivain sénégalais Mohamed Mbougar Sarr parle français comme Jean d’Ormesson, et son écriture est à l’avenant. Edité par Philippe Rey qui obtient ici sa première grande récompense, « La plus secrète mémoire des hommes » est un « Cent ans de solitude » africain. Diégane, le narrateur, romancier en devenir (le double de l’auteur), se lance sur les traces d’Elimane, surnommé le « Rimbaud nègre », auteur d’un seul roman en 1938 : « Le Labyrinthe de l’inhumain ». Accusé de plagiat, il a ensuite disparu. Après s’être procuré le livre, Diégane tombe sous le charme du génie d’Elimane. Il veut rencontrer ceux et surtout celles qui l’ont connu. Il voyage de Paris à Amsterdam, du Sénégal à l’Argentine, pour retrouver celui qui a atteint l’absolu en littérature. Car il s’agit bien de ça. La presse de l’époque s’est déchainée contre Elimane, car elle n’a pas compris son œuvre. Il n’a pas plagié une légende africaine ; toute littérature n’est elle pas inspirée par ce qui la précède ? Un roman éblouissant, tourbillonnant sur la magie de l’écrit. Et un auteur fort sympathique et prometteur que j’ai eu la chance de rencontrer à la foire de Brive.
Richard Ford compte parmi les plus grands écrivains américains vivants. Il vient de publier, aux éditions de l’Olivier, un recueil de nouvelles intitulées « Rien à déclarer ». Les dix récits tournent autour du bilan ; des hommes et des femmes se penchent sur leur passé. Ils sont le plus souvent solitaires et la nostalgie les habite. La première nouvelle qui donne son titre au livre se déroule à la Nouvelle Orléans. Sandy et Barbara s’y retrouvent ; encore étudiants, ils se sont aimés en Islande. Que reste-t-il de leur sentiment, si fort trente ans plus tôt ? Barbara n’a-t-elle été qu’une passante dans la vie de Sandy ? « Langue seconde », qui clôt l’ouvrage, disserte sur la difficulté de la vie à deux. Jonathan et Charlotte se sont rencontrés après avoir vécu chacun un premier mariage. Ils étaient heureux. Or, après deux ans de vie commune, la jeune femme a voulu qu’ils se séparent, tout en restant amis. N’est-il qu’un naïf, et elle un monstre d’égoïsme ?
Décidemment en verve, les éditions Philippe Rey publient « La nuit. Le sommeil. La mort. Les étoiles. » de la grande romancière américaine Joyce Carol Oates. Avec son style efficace et original, elle raconte la dislocation d’une famille après un fait divers tragique. John Earle McClaren, ancien maire de la ville, intervient, comme son devoir l’exige, lorsqu’il voit des policiers maltraiter un jeune Noir. Il reçoit un coup de teaser et en meurt. Sa veuve, Jessalyn, n’aura pas l’énergie de maintenir la famille unie. Leurs cinq enfants, tous adultes, englués dans le quotidien, préoccupés par leur couple, pris dans leurs ambitions, leurs regrets, leurs secrets, vont sombrer. Un hymne à la force d’émancipation de ceux que l’on croit faibles.
Peut-on encore écrire sur le Grand Amour ? Et surtout, peut-on encore le vivre ? Telles sont les questions que pose Alexis Jenni (prix Goncourt 2011) dans son dernier roman, paru chez Gallimard « La beauté dure toujours ». Dans une société barbelée par le No Future des Gilets Jaunes, Felice, avocate, et Noé, dessinateur, que tout semble séparer, entrainent le romancier dans les secrets de leur couple : le goût du risque, la soif de désir et de beauté.
Jean-Luc Aubarbier.
Essor Sarladais du 10 décembre 2021. Article suivant
Dédicace à Sarlat le 22 décembre 2021.