LE PAYS DES AUTRES.
Le Tour des Livres.
La romancière Leïla Slimani, prix Goncourt 2016 pour « Chanson douce », débute chez Gallimard une trilogie romanesque inspirée de l’histoire de sa famille, sous le titre « Le pays des autres ». C’est une réflexion sur l’étranger, le métissage, le déracinement. A la fin de la guerre, Mathilde, alsacienne, a épousé Amine, un Marocain, officier dans l’armée française. Ils s’installent dans une ferme, près de Meknès. Pour la jeune mariée, il n’est pas facile d’accepter le changement d’existence, le poids des traditions, le pouvoir de ses beaux-parents. « Ici c’est comme ça » dit son mari. Mais l’amour qu’elle porte à Amine lui permet de passer le cap. Une fille puis un garçon viennent au monde. Amine, lui aussi, expérimente la différence. En France, on ne voyait que l’Arabe, maintenant, il est celui qui a épousé une femme qui ne reste pas à sa place. Etre étranger n’est pas un statut social, mais un sentiment. La vie rêvée, la sienne, nourrie d’orgueil, et celle de son épouse, se brisent sur la réalité. Au Maroc, l’indépendance se dessine, Amine a épousé une ‘ennemie’ et veut rester neutre. Son jeune frère Omar, fait le choix de la violence. Selma, sa jeune sœur, lutte pour son émancipation, mais sans argent, elle ne peut que se soumettre. A l’école française, Aïcha, sa fille est traitée comme une arabe. Mathilde songe à quitter Amine et le Maroc. A la mort de son père, elle passe deux mois en Alsace, mais là-bas aussi, elle est devenue une étrangère. Un roman ravissant de culture, rédigé dans un style élégant et raffiné.
Aux Presses de la Cité, l’Allemande Brigitte Glaser s’inspire de la réalité pour nous donner un roman fort et perturbant : « Hôtel Baden-Baden ». Rose a quitté l’Allemagne en 1938 et travaille désormais pour les services secrets israéliens. En 1951, elle est envoyé à Baden-Baden pour prévenir un attentat contre Konrad Adenauer. Le chancelier allemand veut faire voter une loi d’indemnisation des victimes juives de la Shoah. Mais les extrémistes juifs de l’Irgoun, pour qui « tous les Allemands sont des assassins », veulent éliminer le dirigeant ouest-allemand. En l’absence d’Ari, qui ne vient pas au rendez-vous, Rose se retrouve seule à Baden-Baden, face à une galerie de personnages dont le passé la trouble. Un roman fort sur la difficulté, pour un Juif, de revenir en Allemagne après la guerre, mais aussi un vrai roman d’espionnage.
Chez le même éditeur, Pierre Petit situe en Haute-Loire son roman « Le Pont des derniers soupirs ». Le village de Pierpont n’a pas vocation à faire parler de lui, avec son unique café tenu par Jean-Baptiste. Mais une violente tempête de neige transforme l’estaminet en refuge pour les naufragés de la route. Parmi eux, Hélène, une jeune femme de vingt ans, rapporte au village une lettre qui réveille un sombre épisode. Dans ce huis-clos obligatoire, une vérité terrible va peu à peu se mettre au jour.
Chez Belfond, Timur Vermes, auteur allemand, nous avait surpris avec « il est de retour », un roman sur Adolf Hitler. Il continue à nous étonner avec « Les affamés et les rassasiés », une satire aux accents houellebecquiens. En 2020, l’Europe a fermé ses frontières. Lionel, qui attend dans un camp de réfugié africain, décide d’emmener ses 150.000 compagnons d’infortune, à pied, jusqu’en Allemagne, le pays de tous leurs rêves. Le voyage se déroule sous des regards avides de ceux qui veulent tirer profit de cette misère, des trafiquants en tout genre, mais aussi les caméras d’une téléréalité dirigée par Nadège, tombée amoureuse de Lionel. En Europe, personne ne veut voir la colonne d’envahisseurs franchir les frontières…. On aime bien voir les pauvres et leur misère, mais de loin.
Jean-Luc Aubarbier.
Essor Sarladais du 29 mai 2020. Article suivant
Chronique littéraire du 19 juin 2020