DREYFUS.
Le Tour des Livres.
Le cinéaste Roman Polanski a tiré son excellent film « J’accuse », du roman de Robert Harris, « D », publié chez Plon. Les deux hommes ont cosigné le scénario. Le roman, tout aussi excellent, a été entièrement écrit à partir de pièces historiques. Le coup de génie de Harris (un spécialiste de l’uchronie) est d’avoir repensé l’histoire à partir du personnage du colonel Picquart (interprété par Jean Dujardin). Picquart appartient au milieu militaire de son époque (remarquablement décrit) : obsédé par la perte de l’Alsace-Lorraine, et par le pouvoir de l’Allemagne. Picquart est, apriori, tout autant antisémite que ses camarades. Dreyfus, comme beaucoup d’officiers, est alsacien ; mais il est riche et une partie de sa fortune familiale est détenue en territoire allemand. De là à voir en lui un espion, il n’y a qu’un pas, surtout pour un Juif censé « ne pas avoir de patrie ». Picquart est tout aussi persuadé de la culpabilité de Dreyfus que ses collègues de l’état-major. Lorsqu’il est nommé à la tête des services secrets, il découvre que les lettres que l’on attribue à Dreyfus ont été écrites par un autre officier, le très douteux Esterhazy. C’est lui l’espion allemand. L’honnête Picquart veut faire éclater la vérité. Mais l’acharnement que les militaires ont mis à « prouver » la culpabilité de Dreyfus leur fait redouter la honte, et puis il est bien connu qu’on ne revient pas sur l’autorité de la chose jugée. Dreyfus doit être coupable. Picquart va tout mettre en jeu, sa carrière, son honneur (il sera emprisonné quelques temps) jusqu’à obtenir la libération du capitaine Dreyfus, avec l’aide d’intellectuels pourtant bien éloignés de lui, comme Emile Zola.
Les mêmes éditions Plon ont eu l’excellente idée de rééditer en un seul volume les sept tomes des « Rois maudits » de Maurice Druon. Selon la préface de Georges R.R. Martin en personne, ce serait l’œuvre qui aurait inspiré « Game of Thrones ». Pour les plus âgés dont je suis, il s’agit des meilleurs rôles de Jean Piat et de la Bergeracoise Hélène Duc, en Robert et Mahaut d’Artois. Lire ou relire Druon, c’est redécouvrir l’histoire évènementielle avec ses clichés indémodables, ses personnages tonitruants, ses mystères ésotériques. Ah, la malédiction des Templiers ! « Pape Clément, roi Philippe, chevalier Guillaume de Nogaret, avant un an, je vous cite à comparaitre au tribunal de Dieu. Maudit ! Vous serez tous maudits jusqu’à la treizième génération de vos races » ; elle nous conduirait bien jusqu’à la Révolution (même si elle n’a pas été prononcée en ces termes).
Cette Révolution française dont j’ai parlé dans mon précédent article à propos des thrillers de Jean-Christophe Portes et Henri Loevenbruck, est également au cœur de l’essai historique d’Evelyne Lever, publié chez Fayard « Paris sous la Terreur ». Là il n’est plus question de roman, même si l’ouvrage permettra de mieux comprendre nos deux romanciers. La Terreur, c’est un déchirement de l’histoire de notre pays, l’impossible retour en arrière. Personne n’a voulu la Révolution, personne ne la préparée, mais à partir de la Terreur, la monarchie française n’existera plus jamais.
Avec « Le Bon Sens », toujours publié à la Table Ronde, Michel Bernard donne un petit frère à son précédent roman « Le Bon Cœur », consacré à Jeanne d’Arc (il vient de sortir en poche chez le même éditeur). Jeanne a été brûlée vive, la Guerre de Cent Ans se termine. Pourtant une mauvaise conscience habite les vainqueurs. Le roi Charles VII ordonne une enquête, dix-huit ans après avoir abandonné la jeune femme à son triste sort. Des hommes loyaux, honnêtes, épris de justice, vont ruser avec la raison d’état pour rétablir la vérité et l’honneur de Jeanne. Elle sera réhabilitée en 1456.
Jean-Luc Aubarbier.
Essor Sarladais du 20 décembre 2019 Article suivant
Chronique littéraire du 17 janvier 2020