SUR LES PAS D’ULYSSE.
Le Tour des Livres.
Depuis James Joyce, nous savons que toute littérature participe soit de l’Iliade (la conquête) soit de l’Odyssée (le retour sur son passé). C’est bien à la seconde catégorie qu’appartient le dernier roman de Patrick Modiano, publié chez Gallimard : « Souvenirs dormants ». Dans cette recherche du temps perdu, le narrateur a sans cesse le sentiment d’un décalage temporel entre lui et les autres, comme une impression de ne jamais être à sa place, « de marcher à coté de sa vie ». Dans le milieu interlope de Pigalle, plane l’ombre du père, étrange et louche, éternel absent, comme de passage dans la vie de son fils. Rien n’est jamais établi avec précision et Paris, Ithaque lointaine perdue dans la brume, se révèle une ville parsemée d’êtres mal connus, de fantômes errants. « J’ai aussi la mémoire de détails de ma vie, de personnes que je me suis efforcé d’oublier. Je croyais y être parvenu et sans que je m’y attende, après des dizaines d’années, ils remontent à la surface, comme des noyés, au détour d’une rue, à certaines heures de la journée. »
Aux éditions de Fallois, Simone Bertière revisite l’Odyssée avec « Le roman d’Ulysse ». Pour donner à tous la chance de côtoyer cet homme rusé, le plus intelligent des Grecs, jamais à cours de ressources ou d’arguments, l’auteur choisit de raconter l’histoire autrement. L’Odyssée est un peu le premier roman de l’humanité, tout y est encore à découvrir, même la puissante philosophie grecque, tout entière contenue dans le récit d’Homère sous forme de légendes symboliques. L’auteur a choisi de donner la parole à Ulysse qui devient le narrateur de sa propre aventure. Son interlocuteur : un jeune berger qui veut devenir aède… un futur Homère.
C’est un peu le même projet, traité différemment, qui anime « Calypso », le roman d’Anne Luthaud, publié chez Buchet-Chastel. L’Odyssée débute avec l’histoire de cette nymphe amoureuse d’Ulysse, qui va la délaisser pour vivre son destin d’homme. Plutôt vieillir et mourir comme un humain, qu’une vie éternelle pour laquelle il n’est pas né ! En parallèle, nous suivons l’histoire de Simon, un homme d’aujourd’hui, perdu dans un univers numérique au potentiel infini. La vie ‘éternelle’ des écrans est-elle préférable à l’existence terne des humains ? Par delà le temps, Ulysse et Simon vont se croiser et, peut-être, se comprendre.
Chez Plon, le Néerlandais Iman Wilkens nous propose le résultat de trente années de recherches autour de l’Iliade et l’Odyssée, avec « La guerre de Troie a bien eu lieu … mais ailleurs ». On visite aujourd’hui les ruines de Troie, découvertes par l’Allemand Schliemann, au nord ouest de la Turquie. S’appuyant sur les descriptions des récits homériques, l’auteur propose de situer la célèbre bataille beaucoup plus au nord et beaucoup plus à l’ouest. C’est en Angleterre que l’on trouverait les ruines de Troie, et dans l’océan atlantique qu’Ulysse aurait vécu ses aventures. Pourquoi un tel mensonge perpétué depuis des millénaires ? Wilkens donne une explication aussi troublante qu’inattendue.
C’est une autre forme d’Iliade que nous raconte Alexis Jenni dans son dernier roman « La conquête des iles de la Terre Ferme », paru chez Gallimard. La conquête de l’empire aztèque dirigé par l’empereur Montezuma, ressemble à bien des égards à l’expédition grecque sur Troie. Avec une modeste armée de cinq-cents hommes, Cortès réussit l’impossible : mettre à bas un empire tout entier. Après avoir brûlé ses navires, châtié ses propres capitaines, il tente ce qui ne saurait réussir et pourtant…. Le Nouveau Monde cesse d’exister après son passage. Œuvre d’un fou ou volonté divine ? Cortès ne s’est-il pas placé au-dessus de toute Loi ?
JEAN-LUC AUBARBIER.
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